La compensation des effets négatifs des aménagements est une préoccupation qui date, en France, de la loi sur la protection de la nature de 1976. La démarche se fonde sur la doctrine Éviter/Réduire/Compenser (ERC), qui s’applique aux conséquences dommageables d’un projet sur l’environnement et la santé, ainsi que sur l’estimation des dépenses correspondantes.
Cette doctrine demande en principe, de prouver en premier lieu que le projet en question ne peut être réalisé sur des zones moins sensibles écologiquement, qu’il est réellement nécessaire et ne pourrait pas être simplement annulé. Ensuite (étape « réduire ») le projet est censé réduire autant que possible ses impacts. L’étape « compenser » ne devrait être que le dernier recours. En fait, les deux premières étapes sont le plus souvent négligées.
Ces mesures de compensation devraient aussi être adoptées au préalable de l’exploitation, mais en réalité, elles restent souvent théoriques, comme souligné dans le rapport de Berthelot et al. (2011).
Un marché juteux !

Zootoca vivipara, le lézard vivipare
Concernant le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, sous couvert d’ingénierie écologique, le bureau d’études Biotope a mis en place une méthode de compensation faisant croire à une restauration rapide et prévisible des écosystèmes. Cette hypothèse laisse supposer une possible compensation de la destruction des habitats naturels et des espèces qu’ils abritent, ouvrant ainsi la possibilité de réaliser n’importe quel projet.
La justification de cette politique de la compensation n’est pas étonnante de la part de certains bureaux d’études car le filon peut s’avérer lucratif. En effet, ces structures sont rémunérées tout au long des procédures : diagnostic de l’état initial, justification des projets, évaluation des impacts, estimation du besoin compensatoire, recherche et mise en place des mesures compensatoires jusqu’aux suivis pluriannuels après travaux. On comprend alors tout l’intérêt qu’ont ces structures privées pour pérenniser ce marché même si leurs méthodes et les modes de compensation sont invalidés par des experts scientifiques. De surcroît ils se font passer pour des protecteurs de la nature !
Des résultats calamiteux !

Triturus marmoratus, le triton marbré
Cette hypothèse de compensation basée sur la restauration rapide d’habitats, a été remise en question par une analyse internationale réalisée par l’équipe de Curran et al. (2014) : ces chercheurs ont évalué la robustesse des arguments ayant justifié les politiques actuelles de compensation. Les cas de cette étude démontrent que la restauration de milieux impliquait des délais extrêmement longs et que le taux de succès était plutôt faible.
L’analyse de ces chercheurs est basée sur les données de 108 études relatives à des « habitats secondaires » (habitats restaurés après une très forte perturbation) et des « habitats naturels anciens».
Au total, ces études couvrent 1228 sites « d’habitats secondaires » et 716 sites « d’habitats naturels anciens ». Seules trois de ces études portent sur des sites européens, la majorité concernant l’Amérique centrale et du Sud et l’Asie du Sud-Est.
Ces scientifiques se sont basés sur des indicateurs de biodiversité classiques afin d’évaluer la qualité biologique des sites étudiés. Ils ont modélisé l’évolution de la biodiversité en relation avec l’âge de l’habitat testé pour évaluer :
- si la biodiversité de l’habitat passivement et activement restauré convergeait au fil du temps vers la biodiversité des « habitats anciens »,
- si la restauration active accélérait le processus de restauration,
- si les politiques de compensation étudiées étaient appropriées à l’imprévisibilité (inhérente à la nature) et aux délais de restauration des habitats.
Dans le meilleur des cas, c’est-à-dire en excluant les risques d’échec qui sont importants dans ce type d’opération, les résultats indiquent que la richesse en espèces[1] ne converge vers les valeurs de référence des « habitats naturels anciens » qu’au terme d’un siècle. Le développement de l’ensemble des espèces caractéristiques d’un milieu prend environ deux fois plus de temps, et son optimum ne serait atteint qu’après une durée de l’ordre du millier d’années !
Les mesures de restauration actives accélèrent le processus de restauration pour tous les indices, mais les décalages temporels importants propres à la nature ainsi que l’incertitude et le risque d’échec exigent des ratios entre surface d’habitats détruits et surface d’habitats restaurés qui dépassent de beaucoup ce qui est appliqué dans la pratique : actuellement, les ratios moyens imposés dans le cadre de compensation au niveau international sont de 10 pour 1 (par exemple 10 ha compensé pour 1 ha détruit), or cette étude montre que des ratios de 20 pour 1 voire de 100 pour 1 seraient plus réalistes.
Un projet scandaleux !
Dans le cas du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les ratios sont ridiculement faibles, étant compris entre 0,25 pour 1 et 2 pour 1 ! Et de surcroît la pérennité de ces mesures compensatoires n’est pas assurée sur le long terme, puisqu’elles se basent principalement sur des contractualisations « potentielles » au travers de baux ruraux de 9 années !
Il faut aussi rappeler que, dans le cas du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, certains milieux sont jugés par des scientifiques[2] comme ayant déjà atteint leur limite de compensation. Cela concerne l’ensemble des milieux oligotrophes[3] et ils sont nombreux sur la ZAD : plus de 35 ha de prairie oligotrophe (au lieu des 8 ha inventoriés dans les études réalisées par Biotope), des kilomètres de talus, des landes et de nombreuses végétations aquatiques.
Dans ce contexte, il nous apparaît évident que ce projet et la méthode de compensation proposée portent une atteinte grave au maintien de la biodiversité et représente un risque majeur de remise en cause de la politique de protection de la nature en France. C’est pourquoi ce dossier est suivi par de nombreux élus et « bétonneurs » rêvant d’un monde dans lequel tout le vivant serait compensable et où l’obligation de chercher une alternative à un projet destructeur (le premier volet du triptyque « éviter/réduire/compenser ») ne serait qu’un détail facile à contourner.
Mais la réalité est généralement toute autre : d’après l’analyse des chercheurs précités, Curran et al. (2014), les mécanismes de compensation mènent à une perte nette de biodiversité à court et moyen terme et représentent une utilisation inappropriée de l’outil autrement plus précieux qu’est la restauration des écosystèmes.

Butte de sphaigne au sein d’une lande humide à Notre-Dame-des-Landes
[1] nombre d’espèces de faune et/ou de flore présentes dans l’espace considéré
[2] Rapport du collège d’experts scientifiques relatif à l’évaluation de la méthode de compensation des incidences sur les zones humides – avril 2013
[3] Oligotrophe : pauvre en éléments nutritifs assimilables par les plantes
Bibliographie :
Anonyme (2012).DOCTRINE relative à la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu nature – Version modifiée après examen par le comité de pilotage du 6 mars 2012 <http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/doctrineERC-vpost-COPIL6mars2012vdef-2.pdf
Berthelot et al. (2011). Rapport d’information relatif aux enjeux et aux outils d’une politique intégrée de conservation et de reconquête de la biodiversité
Curran, M., Hellweg, S. Beck, J. (2014). Is there any empirical support for biodiversity offset policy ? Ecological Applications. 24(4) : 617-632. DOI:10.1890/13-0243.1.
O.CIZEL, GHZH, Protection et gestion des espaces humides et aquatiques, chapitre 13 évaluation des incidences des projets en zone humide – Guide juridique, pôle-relais Lagunes, Agence de l’eau RM&C, 2010
Pour en savoir plus lire l’article original de Curran et al. 2014 : https://naturalistesenlutte.files.wordpress.com/2015/02/curran_et_al-_2014.pdf
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